Ententes et concentrations : ce qu’il faut retenir de l’année 2011

Cet article a pour objectif de présenter un panorama des plus importantes décisions ou arrêts français rendus au cours de l’année 2011. Seules seront évoquées les affaires relatives aux ententes (Antitrust, article L. 420-1 du Code de commerce ou 101 du TFUE) et aux concentrations d’entreprises (Merger, article L. 420-2 du Code de commerce ou 102 du TFUE). Il s’agira de décrypter chacune d’entre elles afin de mieux appréhender les analyses concurrentielles de l’année 2012 qui, à ne pas en douter, évoqueront ces différentes procédures. Par souci de clarté, deux parties guideront ces propos : l’une relative aux décisions rendues par l’Autorité de la concurrence (1), l’autre relative aux arrêts rendus par le juge judiciaire (2).

1. Côté Autorité de la concurrence :

1.1 L’affaire relative au cartel des lessives : 8 décembre 2011

Cette affaire concerne une entente dans le secteur français des lessives. L’objet de cette entente était la fixation en commun du prix de la lessive ainsi que des règles promotionnelles. Quatre entreprises sont concernées et quatre demandes de clémences ont été formulé, dont la première par les sociétés Unilever France et Lever Fabergé France. Les trois autres sociétés impliquées sont Henkel France, Procter & Gamble Company, et Colgate Palmolive.

Points 43 et 44 : Parallèlement, une procédure européenne a été menée par la Commission européenne. Les deux affaires ont été jugées distinctes et c’est ainsi que, le 13 avril 2011, à l’issue d’une procédure de transaction, la Commission européenne a sanctionné les entreprises.

“Par décision du 13 avril 2011 prise à l’issue d’une procédure de transaction au cours de laquelle l’ensemble des parties ont reconnu les faits en cause, leur qualification juridique et leur responsabilité dans ceux-ci, la Commission européenne a sanctionné les entreprises.”Points 47 et 347 : les deux affaires ont été jugées distinctes pour les raisons suivantes : (i) elles se distinguent par leur objet, (ii) par les produits concernés, (iii) leur champ géographique et (iv) leur période de mise en œuvre. Toutefois, comme le souligne l’Autorité de la concurrence elle-même, si la procédure de la Commission européenne ne concerne que la lessive en poudre, celle française la comprend aussi. Également, le champ géographique de la Commission européenne est certes bien plus large, mais il comprend lui aussi la France. Enfin, concernant la période, l’affaire européenne sanctionne une entente ayant débuté en 2002, celle française sanctionne une entente ayant débuté en 1997. Ces dates se chevauchent ainsi dès 2002.

“L’affaire ayant donné lieu à la décision de la Commission européenne porte donc sur des pratiques qui se distinguent de celles en cause dans la présente affaire :


– par leur objet : l’entente sanctionnée par la Commission européenne concerne une coordination essentiellement indirecte des prix mise en oeuvre à l’occasion de l’initiative environnementale de l’AISE décrite au point 45 ci-dessus, tandis que la pratique en cause dans la présente affaire consisterait en une fixation directe des prix et des promotions des lessives dans le contexte de l’adoption de la loi Galland ;

– par les produits concernés : l’entente sanctionnée par la Commission européenne vise les lessives en poudre, seules concernées par les mesures de compactage de l’AISE, tandis que la pratique en cause dans la présente affaire porterait sur toutes les formes de lessives (poudre, liquide, tablettes) ;

– par leur champ géographique : la pratique en cause devant l’Autorité concernerait uniquement le marché français caractérisé à l’époque des faits par des modalités très spécifiques de négociation des prix avec la grande distribution, compte tenu des mécanismes introduits par la loi Galland, alors que l’entente sanctionnée par la Commission européenne visait huit États membres de l’Union, dont la France ;

– par leur période de mise en oeuvre : l’entente sanctionnée par la Commission européenne a commencé en 2002, tandis que la pratique en cause dans la présente affaire est décrite par certains demandeurs de clémence comme ayant débuté en 1997 ;

– par les entreprises concernées : Colgate Palmolive, qui est demandeur de clémence dans la présente affaire et qui est identifiée par les autres auteurs de la pratique en cause comme y ayant participé, ne figure pas parmi les entreprises mises en cause par la Commission européenne.”

Par ailleurs, l’autorité de la concurrence profite de cette affaire pour opérer un formidable rappel de la distinction entre l’infraction complexe et continue d’une infraction unique et continue.L’infraction complexe est ainsi définie comme étant une suite d’accords et/ou de pratiques concertée. Elle est caractérisée au cas présent au point 406 de la décision.“Dans le cadre d’une infraction complexe, qui a impliqué plusieurs producteurs pendant plusieurs années poursuivant un objectif de régulation en commun du marché, on ne saurait exiger de la Commission qu’elle qualifie précisément l’infraction, pour chaque entreprise et à chaque instant donné, d’accord ou de pratique concertée, dès lors que, en toute hypothèse, l’une et l’autre de ces formes d’infraction sont visées à l’article 85 du traité. La Commission est ainsi en droit de qualifier une telle infraction complexe d’accord «et/ou» de pratique concertée, dans la mesure où cette infraction comporte des éléments devant être qualifiés d’«accord» et des éléments devant être qualifiés de «pratique concertée».

    Dans une telle situation, la double qualification doit être comprise non comme une qualification exigeant simultanément et cumulativement la preuve que chacun de ces éléments de fait présente les éléments constitutifs d’un accord et d’une pratique concertée, mais bien comme désignant un tout complexe comportant des éléments de fait dont certains ont été qualifiés d’accord et d‟autres de pratique concertée au sens de l’article 85, paragraphe 1, du traité, lequel ne prévoit pas de qualification spécifique pour ce type d’infraction complexe.”

(point 391)L’infraction simple et continue est celle lorsque l’état délictuel se prolonge dans le temps par la réitération constante ou par la persistance de la volonté anticoncurrentielle après l’acte initial sans qu’un acte matériel ait nécessairement à la renouveler dans le temps (point 409). Elle est caractérisée pour une autre partie des faits au point 438 de la décision.

Les points 567 à 782 de la décision concernent quant à eux la détermination de la sanction et sont un modèle du genre tant la motivation de l’Autorité de la concurrence est empreinte de pédagogie. Une raison peut-être trouvée à cette constatation : il s’agit de la toute première utilisation du communiqué de l’Autorité en date du 16 mai 2011 relatif à la détermination des sanctions. Si l’Autorité explique la réparation du dommage causé à l’économie, elle semble avoir attaché particulièrement d’importance à l’élasticité croisée des prix et de la demande, sanctionnant plus fortement les cartellistes dont les produits ne souffraient pas d’une inélasticité notable.

Les points 773 à 779 sont d’une importance toute particulière. S’y trouve le véritable apport de la décision. Est discutée par l’Autorité de la concurrence la possibilité de bénéficier de la procédure de non-contestation des griefs en même temps que celle de clémence.

L’Autorité de la concurrence pose immédiatement comme principe la nécessité d’un champ d’application des griefs notifiés différent de celui de l’entente telle que décrite par le demandeur de clémence.

“Lorsque le champ des griefs notifiés diffère sur un ou plusieurs point(s) important(s) de l’entente telle que décrite par le demandeur de clémence au vu de l’ensemble des informations et des éléments de preuve dont il pouvait disposer, la mise en oeuvre de la procédure de non-contestation des griefs à son égard peut revêtir un intérêt certain du point de vue du rapporteur général, compte tenu des gains procéduraux qu’elle peut engendrer.”

        (point 773)

Ainsi, comme le souligne l’Autorité au point 774, “lorsque le périmètre des griefs notifiés correspond (…) au contenu de l’entente, (…) la mise en oeuvre de cette procédure n’apporte pas de valeur ajoutée suffisante au traitement de l’affaire“. Dès lors, le rapporteur a la possibilité de cumuler les deux procédures, mais il ne le fera que s’il le juge utile, au cas par cas. Lorsque l’infraction reprochée ne diffère pas sensiblement, le cumul sera en effet refusé (point 779).

Enfin, l’Autorité de la concurrence prend la peine d’évoquer les différences entre la procédure de non-contestation des griefs française et celle européenne. Ainsi, aucune conclusion ne peut être tirée de l’acceptation par la Commission européenne du cumul des deux procédures.

1.2 L’affaire dite Canal Plus / TPS : 20 septembre 2011

Il s’agit dans cette décision de l’Autorité de la concurrence de sanctionner le non-respect par les groupes Canal Plus et Vivendi des engagements pris le 30 aout 2006 à l’occasion du rachat de TPS et Canalsatellite. Ces engagements, de nature comportementale, étaient une condition suspensive à la réalisation de l’opération de concentration et leur non-respect a forcé l’ouverture d’une procédure par l’Autorité de la concurrence.

Point 217 : L’Autorité de la concurrence énonce les possibilités prévues par l’article L. 430-8 du Code de commerce en cas de non-respect des engagements. La première est le retrait de la décision ayant autorisé l’opération. La seconde concerne l’astreinte qui peut etre enjoint aux parties d’exécuter leurs engagements. Quelle que soit la possibilité retenue par l’Autorité de la concurrence, en considération des faits d’espèce, une sanction d’un maximum de 5% du chiffre d’affaires peut être prononcée.

“Aux termes du IV de l’article L. 430-8 du code de commerce, si elle « estime que les parties n’ont pas exécuté dans les délais fixés une injonction, une prescription ou un engagement (…), l’Autorité de la concurrence constate l’inexécution. Elle peut :

    1° – Retirer la décision ayant autorisé la réalisation de l’opération. A moins de revenir à l’état antérieur à la concentration, les parties sont tenues de notifier de nouveau l’opération dans un délai d’un mois à compter du retrait de la décision, sauf à encourir les sanctions prévues au I [injonction sous astreinte dans la limite de 5% du chiffre d’affaires journalier moyen par jour de retard ou sanction pécuniaire d’un montant maximum, pour les personnes morales, de 5 % du chiffre d’affaires réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté le cas échéant de celui de la partie acquise] ;
    2° – Enjoindre sous astreinte, dans la limite prévue au II de l’article L. 464-2 [5% du chiffre d’affaires journalier moyen par jour de retard], aux parties auxquelles incombait l’obligation non exécutée d’exécuter dans un délai qu’elle fixe les injonctions, prescriptions ou engagements.
    En outre, l’Autorité peut infliger aux personnes auxquelles incombait l’obligation non exécutée une sanction pécuniaire qui ne peut dépasser le montant défini au I [montant maximum, pour les personnes morales, de 5 % du chiffre d’affaires réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté le cas échéant de celui de la partie acquise] ».”

Point 250 : L’Autorité de la concurrence opte pour la première possibilité, celle du retrait de l’autorisation de concentration.

“Au regard de l’ensemble des éléments analysés ci-dessus, il convient de mettre en oeuvre le 1° du IV de l’article L. 430-8 du code de commerce. Il y a donc lieu de retirer la décision du ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie du 30 août 2006, autorisant l’acquisition de TPS et CanalSatellite par Vivendi Universal et Groupe Canal Plus. A moins pour les parties de revenir à l’état antérieur à la concentration, ce retrait entraîne l’obligation pour ces dernières de notifier à nouveau l’opération, à l’Autorité de la concurrence, dans un délai d’un mois à compter de la date de notification de la présente décision.”
Point 253 : L’Autorité de la concurrence prononce ainsi une sanction de 30 millions d’euros au titre de l’article L. 430-8 du Code de commerce.
“Au vu des éléments d’appréciation décrits plus haut relatifs à la gravité des manquements constatés et à l’importance de l’atteinte qu’ils sont de nature à engendrer pour la concurrence, il y a lieu d’infliger conjointement et solidairement aux personnes mentionnées à la troisième phrase du point 251 ci-dessus une sanction d’un montant de 30 millions d’euros.”

1.3 L’affaire relative à la restauration des monuments historiques : 26 janvier 2011

Cette affaire ne fait pas application directe du droit communautaire. Pourtant, l’Autorité de la concurrence rend une décision très importante concernant l’articulation entre le droit processuel interne et communautaire. Sur fond d’entente généralisée dans le secteur de la rénovation des monuments historiques sur les territoires spécifiés dans la décision, c’est l’apport concernant l’imputabilité des pratiques anticoncurrentielles dans les groupes de sociétés qui doit être mis en lumière. La répartition des marchés ainsi opérée par les filiales du groupe Lefèvre est imputée à la société mère.

Points 45 et 51 : Les deux griefs concernent (i) d’une part la répartition des marchés et (ii) d’autre part la pratique des offres de couverture.

Points 339 et 340 : Sur le respect des droits de la défense, l’Autorité de la concurrence rappelle que la régularité de la procédure ne peut être contestée à raison du défaut d’audition des responsables d’une entreprise pendant la phase de procédure préalable à la notification des griefs. Ce principe, comme le souligne l’Autorité, est affirmé clairement par un arrêt de la Cour de cassation en date du 29 janvier 2008, arrêt dit Goff Confort (1).

“La cour d’appel de Paris a cependant jugé que la régularité de la procédure ne pouvait être contestée à raison du défaut d’audition des responsables d’une entreprise mise en cause devant l’Autorité de la concurrence pendant la phase de la procédure préalable à la notification de griefs, phase dont la Cour de cassation a elle aussi rappelé le caractère non contradictoire (voir point 309 ci-dessus) : « l’audition de personnes intéressées constitue une faculté laissée à l’appréciation du rapporteur ou du Conseil, eu égard au contenu du dossier ; (…) de surcroît, le fait que les dirigeants d’une entreprise n’aient pas été entendus au cours de l’enquête et de l’instruction est, en l’absence d’obligation légale en la matière, sans incidence sur la régularité de la procédure, dès lors qu’à compter de la notification de griefs et lors des différentes phases de la procédure, l’entreprise a été en mesure (…) de faire valoir ses observations en temps utile » (arrêt du 29 janvier 2008, Le Goff Confort).”

    (point 340)

C’est au point 362 que l’Autorité de la concurrence écarte l’application du droit communautaire, “les pratiques en litige étaient susceptibles d’exercer de manière sensible une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres”, ce qui ne l’empêche en rien de s’exprimer sur l’imputabilité des pratiques d’une filiale tant au plan interne que communautaire.

Le point 592 rappelle ainsi qu’en droit communautaire, en présence de liens capitalistiques exclusifs (100%) ou quasi exclusifs, la présomption – simple – de responsabilité est retenue.

“Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d’une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, il existe une présomption simple selon laquelle la société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale.” (soulignements ajoutés).

Dans le cas contraire, comme le souligne le point 593, l’influence de la société mère sur sa filiale devra être analysée.

“La jurisprudence impose à la Commission européenne de vérifier que la société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale, et non de se contenter de constater qu’elle est en mesure d’exercer une telle influence (arrêt du tribunal de première instance du 27 octobre 2010, Alliance One International Inc., T-24/05, non encore publié au Rec., point 126)”(2).

Le point 590 rappelle ainsi que “le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques“. Cette lourde formulation cache la réalité suivante : une filiale agissant selon les directives de la société mère engage la responsabilité de cette dernière.

Dans un souci d’homogénéité de l’application des règles processuelles en droit de la concurrence, le droit français applique le même raisonnement. Le point 598 de la décision souligne ainsi qu’en présence de liens capitalistiques exclusifs ou quasi exclusifs, la présomption simple de responsabilité est retenue, et, en l’absence d’une telle situation, est étudiée l’influence de la société mère sur sa filiale.

“Ainsi, même lorsqu’elle fait application des seules dispositions de droit interne, l’Autorité est fondée, dans un cas comme celui de l’espèce, où une société mère détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d’un comportement infractionnel, à présumer l’exercice par la société mère d’une influence déterminante sur la politique commerciale de sa filiale, et à la tenir solidairement responsable pour le paiement de l’amende infligée à sa filiale. Cette présomption peut alors être combattue par les entreprises, qui ont à cet effet la possibilité de faire valoir tous éléments de nature à démontrer que leur filiale se comporte de façon autonome sur le marché.”

    (point 598)

Au cas présent, les deux sociétés mères ont été retenues responsables en raison des liens capitalistiques les unissant à leurs filiales. (points 615 et 619).

2. Côté juge judiciaire :

2.1 L’affaire France Télécom / SFR de la Cour d’appel de Paris : 27 janvier 2011

Le 14 octobre 2004 le Conseil de la concurrence condamnait les sociétés France Télécom et SFR Cegetel à respectivement 18 millions d’euros d’amende et 2 millions d’euros d’amende pour des pratiques de ciseau tarifaire. Au terme d’une longue procédure, la Cour d’appel de Paris est venue statuer sur un nouveau renvoi pour réformer la décision du Conseil de la concurrence.

Pour rappel, “cette pratique, dite de « ciseau tarifaire », consiste pour un opérateur, généralement verticalement intégré, à fixer à la fois les tarifs de détail sur un marché et le tarif d’une prestation intermédiaire nécessaire pour l’accès au marché de détail, sans laisser entre les deux un espace suffisant pour la couverture des autres coûts encourus pour la fourniture de la prestation de détail“. (voir le communiqué de l’Autorité dans l’affaire citée).

La cour a ainsi pu juger en page 12 de son arrêt que “si l’objet anticoncurrentiel de la pratique n’est pas établi, elle ne peut rejeter les recours sur le fondement d’un effet anticoncurrentiel du ciseau tarifaire que si un concurrent potentiel aussi efficace que l’entreprise dominante verticalement intégrée, auteur de la pratique, ne peut entrer sur le marché aval qu’en subissant des pertes ; qu’un tel effet peut être présumé seulement lorsque les prestations fournies à ses concurrents par l’entreprise auteur du “ciseau tarifaire” leur sont indispensables pour la concurrencer sur le marché aval“. Autrement dit, seul le fait qu’un concurrent entrant subisse des pertes à l’entrée effective sur le marché permet de rejeter l’effet anticoncurrentiel.

Dès lors, les juges procèdent à l’analyse successive de l’objet des accords et des effets de ces derniers. Pour ce qui est de l’objet anticoncurrentiel, il est considéré que “les offres commerciales du Groupe ne visaient pas à éliminer la concurrence, mais bien à tenter de pénétrer le marché” (page 13).

Pour ce qui est alors de l’effet anticoncurrentiel, la preuve doit être rapportée que la pratique doit avoir pour “résultat de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché en aval; qu’un tel effet peut être présumé seulement lorsque les prestations fournies à ses concurrents par l’entreprise, auteur du “ciseau tarifaire”, leurs sont indispensables” (page 13). Les opérateurs de téléphonie fixe sur le marché n’étaient ni acheteurs ni demandeurs de la prestation d’interconnexion directe, ainsi, aucun effet anticoncurrentiel ne peut être caractérisé.

2.2 L’affaire Expedia de la Cour de cassation : 10 mai 2011

Cet arrêt de la Cour de cassation pose une question de droit comme il est rare d’en voir apparaitre.

Dans un premier temps, la Cour constate que la communication – dite de minimis – en date du 22 décembre 2001 (3) ne prohibe les ententes sur le fondement de l’article 101 du TFUE, que si, (i) dans le cas où les entreprises sont concurrentes – accord horizontal – leurs chiffres d’affaires cumulés dépassent 10%, et (ii) dans le cas où les entreprises ne sont pas concurrentes – accord vertical – leurs chiffres d’affaires cumulés dépassent 15%.

“La communication de la Commission européenne du 22 décembre 2001, dite de minimis (…)interdit les accords entre entreprises qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun et que “la Cour de justice des Communautés européennes a établi que cette disposition n’était pas applicable aussi longtemps que l’incidence de l’accord sur les échanges intracommunautaires ou sur la concurrence n’était pas sensible” ; que quantifiant, au moyen de seuils de parts de marché, ce qui ne constitue pas une restriction sensible de la concurrence au sens de l’article 81 § 1 (…) ; qu’elle énonce au point 7 pour l’application de ce principe, qu’elle considère que les accords entre entreprises qui affectent le commerce entre États membres ne restreignent pas sensiblement la concurrence au sens de l’article 81 § 1, du traité, si la part de marché cumulée détenue par les parties à l’accord ne dépasse 10 % sur aucun des marchés en cause affectés par ledit accord, lorsque l’accord est passé entre des entreprises qui sont des concurrents existants ou potentiels sur l’un quelconque de ces marchés (accords entre concurrents), ou si la part de marché détenue par chacune des parties à l’accord ne dépasse 15 % sur aucun des marchés en cause affectés par l’accord.”

    (page 2)

Or, il est de jurisprudence constante que tout accord entre entreprises affectant le marché intra-communautaire et ayant un objet concurrentiel est prohibé.

“Découle du texte même de l’article 81 § 1, CE que les accords entre entreprises sont interdits, indépendamment de tout effet, lorsqu’ils ont un objet anticoncurrentiel”, arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (4),

    (page 2).

Ainsi, la Cour de cassation pose une question préjudicielle à la CJUE, demandant si l’article 101 du TFUE peut être appliqué à des accords qui ne franchisent pas les seuils de minimis (de 10% ou 15 %, selon) ?

“L’article 101 § 1, du TFUE et l’article 3-2, du règlement n° 1/2003 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une pratique d’accords, de décisions d’associations d’entreprises, ou de concertation qui est susceptible d’affecter le commerce entre États membres, mais qui n’atteint pas les seuils fixés par la Commission européenne dans sa communication du 22 décembre 2001 concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 81 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté européenne (de minimis) (JOCE C 368/13), soit poursuivie et sanctionnée par une Autorité nationale de concurrence sur le double fondement de l’article 101 § 1, du TFUE et du droit national de la concurrence ?”

    (page 3)

Tout porte à penser que la réponse de la CJUE consistera à dire qu’effectivement l’article 101 du TFUE ne s’applique pas à ce type d’accord. Rappelons en effet qu’aucune jurisprudence européenne n’applique l’article 101 du TFUE à des accords qui ne restreignent pas le commerce entre États membres, et qu’aussi, l’article L. 420-1 du Code de commerce prohibe ce type d’entente qui ne reste donc pas impuni.

2.3 L’affaire Total / Réunion : 1er mars 2011

Cet arrêt de la Cour de cassation fait office de nouveau revers pour l’Autorité de la concurrence. Les juges de la rue Montpensier viennent en effet de rendre un arrêt de cassation, infirmant ainsi les juges de la Cour d’appel de Paris qui eux avaient choisi de soutenir l’Autorité.

Cet arrêt pose également une question de droit importante : quelle réalité recouvre l’affectation du commerce entre États membres nécessaire à l’applicabilité de l’article 101 du TFUE ?

La Cour de cassation répond que les critères (i) de la taille des entreprises, (ii) du lieu d’activité de ces entreprises, et (iii) de la nationalité des participants à l’entente ne sont pas pertinents quant à l’appréciation de l’affectation du commerce entre États membres. Cet arrêt, limpide, ne nécessite pas plus de commentaires.

Pages 8 et 9

      : “

1°) ALORS QUE pour être susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, une décision, un accord ou une pratique doivent sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit et de fait permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte actuelle ou potentielle sur les courants d’échanges entre États membres, et cela de manière à faire craindre qu’ils puissent entraver la réalisation d’un marché unique entre États membres ; qu’en se bornant à déduire l’affectation du commerce entre États membres de considérations générales sur le transport aérien la cour d’appel qui n’a pas établi avec un degré de probabilité suffisant en quoi le commerce entre États membres risquait, en l’espèce, de se trouver affecté, n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 81 du traité CE, devenu l’article 101 du TFUE, 12 et 22 du règlement n° 1/ 2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ;2°) ALORS QUE la nationalité des participants à une entente nationale ne permet pas de conclure que la condition relative aux effets sur le commerce entre États membres est remplie : qu’en affirmant au contraire qu’à défaut d’établir qu’aucun opérateur présent sur le marché n’est ressortissant de la communauté, les sociétés mises en cause dont certaines ont leur siège social dans un autre États membre, ne peuvent pas échapper à l’application du droit communautaire, la cour d’appel a violé l’article 81 § 1 du traité CE, devenu l’article 101 du TFUE, ensemble les articles 12 et 22 du règlement n° 1/ 2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ;3°) ALORS QU’en retenant, pour considérer que le commerce intracommunautaire était affecté, que la destination de Saint-Denis de la Réunion attire des ressortissants de divers pays membres de la communauté, la cour d’appel qui a statué par des motifs impropres à définir les contours d’un marché pertinent et à caractériser une affectation du commerce entre États membres, a privé sa décision de base légale au regard des articles 81 du traité CE, devenu l’article 101 du TFUE, 12 et 22 du règlement n° 1/ 2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ;4°) ALORS QUE les conditions d’application de l’article 81 du traité CE, devenu l’article 101 du TFUE sont d’interprétation stricte ; qu’il résulte des propres énonciations de l’arrêt attaqué que le marché en cause était celui du carburéacteur sur l’île de la Réunion ; qu’en déduisant l’affectation du commerce entre États membres des répercussions de l’entente sur des marchés connexes mais distincts à savoir notamment celui du transport aérien de passagers, la cour d’appel a violé le texte susvisé, ensemble les articles 12 et 22 du règlement n° 1/ 2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ;5°) ALORS QU’en affirmant que les pratiques en cause étaient susceptibles eu égard à leur nature d’affecter sensiblement les échanges communautaires tout en admettant que les conditions de la présomption d’affectation sensible du commerce intracommunautaire ne sont pas réunies, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé l’article 81 § 1 du traité CE, devenu l’article 101 du TFUE, ensemble les articles 12 et 22 du règlement n° 1/ 2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ;6°) ALORS QU’en retenant que la pratique en cause était susceptible d’affecter sensiblement ” les marchés des carburéacteurs.. sur le territoire de la Communauté européenne “, tout en constatant que le marché du carburéacteur en cause était limité, d’un point de vue géographique, à la seule escale de l’île de la Réunion, ce qui conférait au marché en cause une dimension non seulement nationale mais surtout locale et excluait en toute hypothèse toute affection sensible du commerce intracommunautaire, la cour d’appel a violé l’article 81 § 1 du traité CE, devenu l’article 101 du TFUE, ensemble les articles 12 et 22 du règlement n° 1/ 2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité.

3. Propos conclusifs

Sans conteste, 2011 fut une année riche en jurisprudences importantes qui aura fait la part belle aux grands épisodes concurrentiels. L’Autorité de la concurrence forcit encore un peu plus ses sanctions, faisant notamment une première application de son communiqué du 16 mai 2011. Le juge judiciaire n’est pas en reste et prouve qu’il demeure le véritable pilier du droit de la concurrence, n’hésitant pas à infirmer les raisonnements de l’Autorité. A présent, cap sur l’année 2012.

Thibault Schrepel
      .

(1) Cour d’Appel de Paris, 29 janvier 2008, Goff Confort n°2006/07820
(2) Tribunal de l’Union européenne, 27 octobre 2010, Alliance One International Inc, n°T-24/05P
(3) Communication de la Commission concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignentpas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, du traitéinstituant la Communauté européenne (de minimis)
(4) Cour de Justice de l’Union européenne, 8 juillet 1999, n°C-49/92P

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