Secret des affaires et concurrence à travers la “proposition Carayon”

Pour (éventuellement) citer cette étude :
Marie Malaurie-Vignal, Secret des affaires et concurrence à travers la “proposition Carayon”, Revue Concurrentialiste, Juillet 2012

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Article rédigé par Marie Malaurie-Vignal, Professeur agrégée à l’Université de Versailles, Membre du Comité scientifique du Concurrentialiste.

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Le piratage économique est une plaie pour les entreprises. Le pillage de leurs secrets par des concurrents leur est fort préjudiciable et est de nature à fausser la concurrence. Le présent article traite de cette problématique d’actualité comme en atteste la récente “proposition Carayon“.

Les droits de la propriété industrielle, en conférant un droit privatif, tel le droit sur un brevet ou des dessins et modèles, protègent les entreprises sur leurs innovations. Mais ces droits ont un domaine bien défini et une protection limitée dans le temps ; le dépôt est le plus souvent exigé et donc la publicité est assurée, avec le risque de copie.

La protection la plus efficace est le secret. Certaines entreprises parviennent à faire respecter le secret. La stratégie de Cola est à ce titre exemplaire. Mais il est fort difficile d’assurer un respect absolu. Des stagiaires en entreprises, d’anciens salariés, des sous-traitants, des concurrents peuvent parvenir à pénétrer au cœur de l’intelligence économique. Aussi, notre droit français dresse-t-il un arsenal législatif pour protéger les secrets d’affaires (1).

Le droit français est marqué par un éclatement des sources et une relative inefficacité du droit pénal. Cette inefficacité est peut-être liée à l’absence de définition de la notion de secrets d’affaire. La proposition Carayon (2), votée en première lecture à l’Assemblée nationale le 23 janvier 2012, a pour objet de créer un délit de violation du secret des affaires. La protection vise toute information « de nature commerciale, industrielle, financière, scientifique, technique ou stratégique ». La notion est donc très large. Elle requiert que l’entreprise ait mis en place des « dispositions raisonnables destinées à les garder secrets ». On regrettera que la proposition de loi n’ait pas précisé les destinataires au secret : les employés qui par leurs fonctions peuvent avoir accès au secret ? Faut-il étendre cette obligation aux contractants de l’entreprise qui peuvent avoir accès à certains des secrets de l’entreprise ? La proposition se contente d’énoncer qu’est tenue au secret « toute personne qui en est dépositaire ou qui a eu connaissance de cette information et de mesures de protection ». Les mesures raisonnables mises en œuvre pour assurer le secret seront précisées par décret. On peut se demander si l’absence de protection rendra l’information librement disponible ou si les mécanismes antérieurs (droit de la responsabilité, droit de la concurrence déloyale, droit pénal spécial) pourront néanmoins s’appliquer.

La proposition Carayon pose des exceptions au secret, justifiées par des exigences procédurales, dans les relations avec la justice (3). Le mécanisme résultant de la proposition Carayon est assez proche de celui que les praticiens utilisent par l’insertion de clause de confidentialité ou clause de sauvegarde limitant l’usage et la divulgation aux tiers d’informations stratégiques. Or, ces clauses, certes très usitées, ne sont pas sans danger en raison notamment du marquage de l’information estampillée « secrète », qui attire l’attention ! On critiquera également la voie pénale. On a souligné la relative inefficacité des dispositions pénales.

Pour autant, la proposition Carayon a le mérite de s’inscrire dans un mouvement international visant à sanctionner la violation du secret des affaires : article 39 du Traité ADPIC relatif aux aspects de propriété intellectuelle liés au commerce ; Communication UE 24 mai 2011 faisant état d’une préoccupation liée à l’hétérogénéité des règles de protection des secrets des affaires dans les différents Etats ; Etude de la protection des secrets des affaires dans l’Union européenne (Report on Trade secrets for the European Commission).

Il est à espérer que cette proposition ne tombera pas aux oubliettes… et que la voie pénale sera abandonnée, permettant ainsi un rapprochement avec le droit anglais (4).

 Marie Malaurie-Vignal

  • (1) Pour une étude plus complète, voir notre article, Réflexions sur la protection du patrimoine informationnel de l’entreprise contre le piratage informatique, D. 2012 chr. 1415.
  • (2) Proposition de loi enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 novembre 2011 visant à sanctionner la violation du secret des affaires. (lien)
  • (3) J.M. Garinot, « Secret des affaires : la proposition de loi du 23 janvier 2012 sur la violation du secret des affaires est-elle un progrès ? » JC.E. 2012 act. 173.
  • (4) Pour une présentation des différentes solutions, F. Hagel, « Protection des secrets d’affaires » : enjeux et repères, Cah. Dt. Entrep. Janv.-févr. 2012, n°3, p 31 et s.

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