L’innovation de rupture : de nouveaux défis pour le droit de la concurrence

Chers lecteurs,

Je suis heureux de vous annoncer la publication d’un nouvel article à la Revue Lamy de la concurrence, numéro 1/2015 (janvier-mars).

Intitulé “L’innovation de rupture : de nouveaux défis pour le droit de la concurrence », cet article se propose d’analyser l’aspect juridique d’une notion créée en 1997 par le Professeur Christensen de la Harvard Business School. À ce jour, la notion d’innovation de rupture a trouvé de nombreuses applications économiques. Le domaine du juridique est quant à lui resté peu ou prou inexploré. Nous nous proposons ainsi d’exposer l’intérêt que représenterait l’intégration de cette notion dans nos droits de la concurrence.

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Court extrait tiré de l’introduction de l’article

Imaginez que vous ayez créé une entreprise active sur le marché des réseaux sociaux. Imaginez que, dans le but de reconnecter l’informatique avec le réel, vous veniez de créer un nouveauproduit, un réseau social révolutionnaire qui intègre le monde numérique dans le monde physique. Imaginez que, après un lancement en fanfare de votre service, celui-ci commence à gagner en popularité. Maintenant, souvenez-vous de l’époque où les géants du monde des réseaux sociaux ne vous considéraient pas encore comme une menace parce que, contrairement à eux, vous aviez eu besoin de faire payer l’accès à votre réseau social afin de financer le matériel permettant de connecter les « deux mondes ». Et puis, petit à petit, votre produit avait de plus en plus séduit, les fonctionnalités s’étaient améliorées au fil des semaines, et un véritable réseau d’utilisateurs s’était formé autour de ce dernier. Aujourd’hui, vous avez pris de l’avance sur les autres entreprises actives sur le marché des réseaux sociaux. Tout le monde ne jure plus que par vous, vous avez révolutionné nos vies, votre nom est en haut de l’affiche, et le nom de votre réseau est devenu une antonomase. Vous savez certes quelle est la fragilité de vos parts de marché. Après tout, vous avez vous même détruit le marché des réseaux sociaux numériques. Mais pour l’heure, le succès est au rendez-vous, et vous l’avez bien mérité.

Cette petite fable illustre le mécanisme de l’innovation de rupture, ou de la « disruptive innovation ». Cette notion, créée en 1997 par le professeur Christensen de la Harvard Business School, s’est depuis popularisée sur le continent américain. Elle demeure trop peu connue dans la littérature juridique et dans les décisions européennes. Pourtant, la prise en compte du concept d’innovation de rupture est lourde de conséquences, notamment pour le droit de la concurrence. En matière d’abus de position dominante, il implique une réévaluation de nos méthodes de détermination des parts de marchés et, par la même, des dominations. Il permet de démontrer que toutes les dominations ne se valent pas et que la prise en considération uniforme des parts de marché dans toutes les analyses concurrentielles discrimine involontairement certaines entreprises. Cette notion d’innovation de rupture est également importante en matière d’analyse des pratiques anticoncurrentielles en ce qu’elle fait largement référence aux stratégies de prédation. Elle pose aussi la question de la remise en cause de nombreuses notions fondamentales en droit de la concurrence, tels que les effets de réseau, la normalisation, la standardisation, l’interopérabilité, les « lock-in », les coûts de transferts… Elle nous conduit enfin à nous interroger sur le rôle du régulateur. Cette notion d’innovation de rupture constitue en somme un véritable défi pour nos droits de la concurrence français, européen et américain.

La notion d’innovation de rupture est d’autant plus importante que les marchés liés aux nouvelles technologies occupent une place de plus en plus centrale dans nos économies. Internet tend par ailleurs à ce que les innovations de rupture soient toujours plus fréquentes et impétueuses, notamment parce que leur développement et leur diffusion se font de manière globale et à des coûts très faibles ce qui a pour effet indéniable de les stimuler. En fait, Internet permet le développement de ce que les américains qualifient de « permissionless innovation », celles qui se propagent sans que l’État ou des entreprises déjà dominantes n’aient de contrôle. Avec la nouvelle économie, de telles innovations sont de plus en plus fréquentes. Il est donc fondamental que les cours et autres autorités s’emparent de cette notion.

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